Enjeux cognitifs

Le numérique affecte-t-il les capacités d’attention des jeunes ?

Camille Capelle

50%des enseignants en début de carrière considèrent que les élèves sont menacés par des risques cognitifs sur internet (eRISK, 2017)

Internet est un espace de surabondance d’informations en tous genres : images, vidéos, publicités, liens hypertextes… Une simple recherche d’informations a de quoi donner le vertige tant les résultats sont nombreux, à portée de clic, alors que l’information pertinente par rapport à un réel besoin d’information est souvent difficile à trouver. On peut ressentir ce même vertige devant les murs d’une bibliothèque, face à la profusion de livres qu’on aimerait pouvoir tous lire, alors que le temps exigé pour traiter ces informations pourrait dépasser celui d’une vie. C’est aussi un enjeu majeur de nos sociétés modernes, caractérisé chez certains penseurs par le concept d’économie de l’attention : nous avons tous accès à des quantités d’informations mais celles-ci sont supérieures aux capacités attentionnelles dont nous disposons pour en prendre connaissance (Citton, 2014). Les psychologues cognitivistes parlent de surcharge cognitive lorsque lecture et réflexion peinent à fonctionner de pair. Les industries du web (Google, Facebook et Amazon les premiers) ont très vite compris l’enjeu économique de capter cette ressource qu’est l’attention en mettant notamment au point des algorithmes de prédiction et de recommandations (Cardon, 2015). Face à l’accélération dans les modes de production et de diffusion de l’information sur internet et aux multiples sollicitations que ne cessent de nous adresser les plateformes et annonceurs de publicités, il n’est pas rare de sentir submergé. La société serait atteinte d’infobésité, une surabondance d’informations qui nous incite à agir vite en passant d’une information à l’autre sans réfléchir. Mais cette “culture zapping” a un coût : celui d’inciter aux raccourcis, aux erreurs d’interprétation. En 2008, un ouvrage controversé de Nicholas Carr paru en français en 2011 sous le titre provocateur “Internet rend-il bête ?” dénonçait l’endommagement profond que provoquent les technologies sur nos réseaux neuronaux, entraînant le déclin de la pratique de la lecture et de notre capacité à comprendre le monde. En 2019, le neuroscientifique Michel Desmurget alerte à nouveau sur cet impact avec son ouvrage “La fabrique du crétin digital”. Peut-on se fier à ces thèses pessimistes ? Qu’en est-il des jeunes habitués des environnements numériques depuis leur enfance ? La surabondance d’information peut-elle affecter leur capacité de concentration, de réflexion, d’apprentissage ? Comment perçoivent et reçoivent-ils ces informations ?

Les risques cognitifs liés à la fréquentation courante des environnements numériques chez les jeunes peuvent questionner les parents, les enseignants, les éducateurs. Nous proposons une synthèse des différents points de vue et des avancées de la recherche pour comprendre comment les pratiques numériques des jeunes bouleversent les modes d’attention aux autres et au monde.    

Nous définirons l’attention comme la faculté qui nous permet de faire mentalement une sélection dans nos pensées pour nous orienter sur une tâche ou sur une information : rédiger un SMS, lire un article, regarder et écouter une vidéo. Les distracteurs qui nous entourent dans la vie quotidienne et qui se multiplient avec internet (notifications, pop-up publicitaires…) sont susceptibles de gêner l’attention et exigent de nous un effort supplémentaire de concentration. «Au niveau cérébral, l’attention mobilise tout un réseau qui partage des structures communes avec les aires impliquées dans la motivation et la mémorisation. Motivation, mémorisation et attention sont donc des processus liés.» (Olano, 2017). Pour être capable de mémoriser et d’apprendre, la motivation est donc importante, l’attention indispensable.