Le numérique est rarement associé aux questions environnementales dans le contexte scolaire. Il est pourtant indispensable de rappeler le lien qui existe entre les usages numériques, qui impliquent l’utilisation de matériels, de logiciels, de réseaux, d’énergie reposant sur des infrastructures industrielles concrètes, et la question du développement durable. Les technologies d’information et de communication sont basées sur la production et la commercialisation d’une quantité toujours plus grande et plus diverse d’appareils avec des externalités négatives considérables. Les produits sont manufacturés, le plus souvent, dans des pays en voie de développement ou peu respectueux des droits des travailleurs, à partir de matériaux rares, comme le cobalt et le lithium, dont les modes d’exploitation sont encore moins respectueux lorsqu’ils utilisent, par exemple, le travail des enfants dans les mines de cobalt. On estime ainsi que 40 000 enfants travaillent dans les mines de cobalt au Congo, qui produit 60% de la production mondiale. Ce sont aussi des enfants qui travaillent dans les chaînes de production de smartphones des usines chinoises. Le lithium, indispensable pour fabriquer les piles des appareils, est produit en presque totalité dans des régions d’Amérique du Sud et nécessite l’usage de grandes quantités d’eau au détriment des habitants qui en manquent en Argentine, au Chili ou en Bolivie. Le cadmium, métal toxique utilisé notamment dans les piles et les écrans, est rejeté dans l’environnement, comme les nano-particules dont on sait qu’ils représentent une pollution et un danger majeurs pour la santé humaine. L’utilisation d’un ordinateur portable produit 1094 tonnes de CO2 par an. Les datas centers, stockant les données dans des serveurs abrités par des bâtiments répartis dans le monde, liés au cloud computing, consommaient en 2018 1% de la production mondiale d’électricité, le numérique représentant lui-même 7% de la consommation mondiale d’électricité, une consommation en augmentation constante, responsable de l’émission de gaz à effet de serre. La connectivité nécessitée par l’internet et les usages qui se développent impliquent la mise en place toujours plus rapide d’infrastructures et des investissements considérables, créant des inégalités entre acteurs, qui mènent une lutte concurrentielle, et régions, dont certaines, au niveau mondial comme au niveau national, restent encore peu connectées.
On le voit bien à travers ces quelques exemples, auxquels on pourrait ajouter des questions très générales comme celle de la consommation d’énergie dans le contexte de la lutte contre le réchauffement climatique, de l’obsolescence programmée dans un contexte d’interrogation sur les pratiques de consommation outrancière, de l’impossible recyclage dans un contexte de dégradation de la biodiversité, le développement durable, dans une perspective écosystémique combinant le respect des équilibres environnementaux, sociaux et éthiques, et économiques, est une question majeure dans la réflexion sur le numérique. Elle appelle des pratiques éducatives et une responsabilité sociale renouvelées, l’éducation au développement durable étant inscrite dans les programmes scolaires.
Le développement durable du numérique
Le numérique, ou les technologies d’information et de communication, constituent un secteur industriel dominant aujourd’hui, avec un effet environnemental majeur du point de vue de l’empreinte écologique, mais dont l’évaluation est complexe. Les parcs d’ordinateurs et d’objets connectés comme les smartphones, les serveurs, représentent une consommation électrique, une empreinte carbone, une empreinte environnementale (exploitation, déchets) considérables qu’il est complexe de mettre en balance avec les économies liées à la réduction des transports (travail, achats, éducation à distance), l’amélioration des procédures, de l’efficacité énergétique des bâtiments, de la gestion des villes (smart city). Les technologies en question ont également profondément modifié les rapports de production et de travail. Dans ce sens, lier les usages numériques quotidiens avec une réflexion sur l’économie du numérique et son impact environnemental est indispensable, et prendre conscience de la dimension écosystémique des nos pratiques envisageable même avec des enfants très jeunes. Cette réflexion peut porter sur les comportements de consommation, les pratiques responsables, et engager la question de la durabilité. Elle ne peut faire abstraction des débats qui constituent des questions vives et des controverses, entre utopies et dystopies. Car il s’agit ainsi de savoir si la technique érigée en politique joue contre l’humanité (Ellul), avec l’humanité (Simondon) ou entre l’humanité et la nature dans l’anthropocène (Latour).
Le développement durable par le numérique
Le numérique, par la connectivité généralisée et les perspectives d’innovation sociale qu’il contient, peut être considéré comme un élément fondamental dans l’éducation au développement durable. Les potentialités de participation, de coordination des actions et de partage de l’information sont développées grâce aux réseaux numériques, qui offrent un moyen de renouvellement des pratiques, dans le domaine de l’agriculture biologique, de l’éco-construction, de l’industrie, mais aussi dans le domaine politique avec les forums par exemple. Transition écologique et transition numérique peuvent être considérés comme indissolublement liées (Monnoyer-Smith). La circulation de l’information sur l’environnement peut être rapide, tant du point de vue des lanceurs d’alertes et des activistes qui bénéficient de tribunes, même en dehors des réseaux officiels, que de celui des récepteurs de l’information. Le nombre de chaînes Youtube consacrées aux questions environnementales, produisant une information scientifique et documentée, à la portée des plus jeunes, utilisant des modes de communication qui leur sont familiers, en atteste. Le numérique, enfin, peut être considéré comme un outil pour scruter, voire améliorer les sociétés (Latour) à l’aide, par exemple, des données ouvertes ou des outils de cartographie du web.
Le numérique est aussi lié à l’émergence d’espaces qui facilitent les pratiques créatives, collaboratives et dans ce sens, éducatives. Les FabLabs, par exemple, sont des espaces d’innovation technologique qui portent souvent un modèle social et des valeurs qui dépassent la seule prouesse technique pour inclure des dimensions éthiques (une culture du « libre » depuis les logiciels jusqu’au matériel, par exemple), sociales (le souci d’inclusion), communicationnelles (la documentation des créations dans une perspective de partage) dans une démarche de projet.
Préconisations
La réflexion sur les pratiques quotidiennes du numérique et leur lien avec les questions de développement durable peut être engagée de multiples façons, à tous les âges et tous les moments du parcours d’apprentissage des jeunes, dans la perspective de prise de conscience des écosystèmes. Vincent Bergeot, fondateur de Num&Lib, propose ainsi d’inciter les enseignants (et éventuellement les élèves) à noter et réfléchir à leurs pratiques en partant des « 17 objectifs pour sauver le monde » de l’UNESCO pour produire des propositions concrètes d’actions. Il propose également de produire et faire produire des questions clivantes (ou vives) :
- Le numérique est-il source de pollution ?
- Comment réduire l’empreinte carbone de mes pratiques numériques ?
- Le numérique est-il adapté à tous les citoyens ?
- Comment lutter contre l’illectronisme ?
- Le numérique rend-il passif ou actif ?
- Peut-on parler développement durable sans communs numériques ?
- Les entreprises de l’Edtech (technologies éducatives) sont-elles compatibles avec une démarche de développement durable ?
- Le fait d’utiliser des logiciels propriétaires dans l’éducation est-il cohérent avec une démarche de développement durable ?
- Les données peuvent-elles m’aider à mieux comprendre mon empreinte carbone et celle des entreprises ?
- Le développement durable peut-il faire l’impasse sur l’ouverture des données ?
- Le numérique aujourd’hui est-il conciliable avec le développement durable ?
- Le numérique peut-il être un support de promotion du développement durable ?
- Où, comment réaliser mes achats ?
- L’e-sport c’est bon pour ma santé, ma planète ? Quel est le bilan carbone de ma pratique de l’e-sport ?
- Les machines sont-elles une menace pour l’Homme ?
- A-t-on le droit de maltraiter un robot ?
- Le téléphone portable c’est le rêve de Staline devenu réalité ! pour Richard Stallman, pape du logiciel libre : qu’en penser ?
- Les humains deviennent-ils bêtes ?
- Comment ne pas s’attacher aux robots de compagnie ?
- Les dangers de l’hyper contrôle
- Le design des appareils numériques peut il aller vers une conception numérique durable ?
- Les questions de développement durable étant intrinsèquement complexes, il n’est pas possible de faire l’économie de la recherche d’arguments scientifiques dans le cadre de l’organisation de débats en classe ou de cartographies de controverses autour de questions vives.
L’engagement dans des projets collaboratifs ou de science participative (cartographies, encyclopédie, repérages de données sanitaires liées à la consommation), qui s’appuient sur le numérique et reposent sur le développement de compétences techniques en lien avec des activités citoyennes, permet également de développer la prise de conscience chez les plus jeunes et le sentiment que l’action reste possible.
Les questions de développement durable étant intrinsèquement complexes, la recherche d’arguments scientifiques dans le cadre de l’organisation de débats en classe ou de cartographies de controverses autour de questions vives liées à l’environnement est indispensable.
Les propositions ludiques sont également nombreuses, à travers les jeux sérieux environnementaux (green games) pour tous les âges, ou la critique de séries comme Black Mirror.
Bibliographie
Conseil National du Numérique (2020). Feuille de route sur l’environnement et le numérique. URL : https://cnnumerique.fr/environnement_numerique
Eghbal, N. (2017). Sur quoi reposent nos infrastructures numériques ? Le travail invisible des faiseurs du web. OpenEdition, URL : https://books.openedition.org/oep/1797
Ellul, J. (1988). Le bluff technologique. Paris : Hachette
Gossart, C., Jullien, N., Massé, D., Özman, M. (2018). Panorama des innovations sociales numériques, Terminal [En ligne], 122, mis en ligne le 30 juin 2018, URL : http://journals.openedition.org/terminal/2299.
Hervé, N. (2014). Cartographier des controverses pour apprendre la complexité des technosciences : l’étude des gaz de schiste en lycée agricole. Revue francophone du développement durable, 4, p. 155-170.
Latour, B. (2018). Entretien avec Olivier de France et François-Bernard Huyghe : La technique, c’est la civilisation elle-même, Revue internationale et stratégique, 2-110, p. 163-17.
Lehmans, A., Liquète, V., Coulibaly, M. (2019). Robotique éducative et constitution de communs de la connaissance dans les FabLabs : un enjeu fondamental pour le développement. Colloque Comtecdev : Données géospatiales, intelligence artificielle et développement, Mar 2019, Bordeaux, France. ⟨hal-02070234⟩
Monnoyer-Smith, L. (2017). Transition numérique et transition écologique, Annales des Mines – Responsabilité et environnement, 3-87, p. 5-7.
Simondon, G. (2012). Du mode d’existence des objets techniques. Paris : Aubier (1re éd. 1958)
Zwang, A. (2018). Enjeux de la formation au numérique des communautés scolaires dans une perspective de transformation écosociale. URL : https://www.researchgate.net/profile/Aurelie_Zwang/publication/332520899_Enjeux_de_la_formation_au_numerique_des_communautes_scolaires_dans_une_perspective_de_transformation_ecosociale_Challenges_of_digital_education_for_a_school_community_that_contributes_to_eco-social_tr/links/5cbad0a192851c8d22f7b5fb/Enjeux-de-la-formation-au-numerique-des-communautes-scolaires-dans-une-perspective-de-transformation-ecosociale-Challenges-of-digital-education-for-a-school-community-that-contributes-to-eco-social-tr.pdf
Autres ressources
Ressources éducatives associées