Enjeux juridiques
Quels sont les enjeux face au respect du droit sur internet ?
Anne Lehmans
Les questions juridiques dans le contexte de l’école en lien avec le numérique sont multiples et complexes, intimement croisées avec des questions pédagogiques, économiques, politiques, éthiques. Vis-à-vis des élèves, il s’agit de proposer des champs de questionnement (savoir se poser les bonnes questions) et des pistes pour bien comprendre les enjeux juridiques de leurs activités numériques, souvent liés à des enjeux éthiques. Le droit n’est pas qu’une question de technique, c’est la traduction d’un consensus social et politique, dans la société de l’information. Dans ce contexte, l’école est un lieu de socialisation qui est nécessairement en contact avec les réseaux socio-numériques utilisés par les élèves, et un lieu d’éducation qui doit apporter les réponses adéquates aux besoins de formation de publics qui ne sont pas à égalité face à l’environnement numérique. Les réseaux socio-numériques reflètent parfois fidèlement les comportements de la vie réelle, ils sont le théâtre de créations, d’échanges, mais aussi de dérapages, de conflits et de problèmes. Comme dans la rue, on a toujours trouvé de la violence, du vol, du harcèlement, des insultes, de la souffrance, dans les réseaux socio-numériques, mais avec plus de visibilité et de pérennité, puisqu’il reste toujours des traces peu contrôlables. L’internet est récent, l’usage des réseaux numériques pour la communication plus encore, et on a souvent l’impression que le droit n’est pas adapté, voire pas applicable à cet environnement informationnel et communicationnel qui vient percuter l’école. Or, les normes juridiques s’appliquent évidemment en contexte numérique, même si elles nécessitent quelques adaptations, liées aux caractéristiques de la globalisation de l’information. Il faut donc, avant d’aborder des points précis et pratiques, bien comprendre le contexte dont il est question et les fondements des règles qui le régissent. Quatre domaines seront ensuite principalement étudiés, parce qu’ils couvrent la grande majorité des questions qui se posent et qui peuvent représenter des risques dans l’école : celui de la propriété intellectuelle, de la protection des données personnelles, du droit à l’image et du traitement de la violence en ligne.
Contexte juridique
Les évolutions récentes du droit dans les Etats de droit contemporains sont marquées par plusieurs caractéristiques. Les problèmes qui se posent dans la société ont tendance à faire l’objet d’un traitement systématique par le droit comme moyen de régler tous les conflits : la norme juridique remplace la norme sociale. Non seulement le droit prend une place grandissante, mais le plus souvent à travers la loi, règle élaborée par le législateur, qui a une valeur juridique très importante et suppose un débat politique. De façon concomitante et liée, on ne fait plus appel à des groupes intermédiaires ou à des médiateurs, mais directement au juge, à l’institution policière puis judiciaire, pour régler les conflits, y compris les conflits les plus privés et individuels et ceux qui sont liés à l’école. Avec un recours accru au tribunal et une augmentation de la propension au procès, on constate une immixtion des juges dans les relations sociales et une demande constante d’interprétation de la norme. Enfin, on note un déplacement de la création de la norme juridique des Etats vers l’Europe et vers l’international.
Contexte technique
Les fondements de l’Internet, au moment de sa création, reposent sur le partage à travers la mise en réseaux des informations. Une nouvelle culture liée à l’accès généralisé à l’information, et un militantisme de la gratuité et du partage de cet accès se sont développés, qui entrent parfois en conflit avec les principes de la propriété intellectuelle en vigueur depuis le dix-huitième siècle. Plusieurs facteurs sont à l’origine de changements importants dans le traitement des données : la délocalisation de l’infrastructure informatique, le volume, la variété, la vitesse de circulation des données (“big data”) rendent le contrôle sur les données très complexe. Le développement des algorithmes, ces instructions qui commandent le fonctionnement des programmes informatiques, a un effet sur la popularité, l’autorité, la réputation et la prévision (Cardon) et sur le développement de l’intelligence artificielle. La pervasivité du numérique (le fait qu’il est partie intégrante du monde qui nous entoure sans que nous en ayons une conscience claire), la mondialisation et la globalisation de l’information, de l’économie et des pratiques culturelles, impliquent une imbrication des règles de droit nationales et internationales. Le développement de pratiques de partage de l’information avec internet, et, pour les enfants et les adolescents, une difficulté à discerner ce qui est légal ou non, gratuit ou pas, une certaine indifférence par rapport à la copie sont répandus, avec l’individualisation des pratiques informationnelles. danah boyd, une chercheuse américaine, montre que les réseaux socio-numériques sont caractérisés par la perdurabilité (ce que l’on dit a une durée de vie a priori illimitée), l’investigabilité (ce que l’on dit est susceptible d’être retrouvé), la reproductibilité (l’information numérique est copiable, la source est donc parfois difficile à évaluer), et l’impossibilité de discerner l’audience. Ces caractéristiques représentent des risques que le droit doit traiter.
Contexte économique et social
Sans entrer dans les détails d’une économie de l’information complexe, il faut en souligner quelques caractéristiques essentielles :
- Un nouvel ordre économique : les réseaux sociaux font de chacun de nous des producteurs et des consommateurs d’information, mais aussi des objets constituant une immense base de données à la disposition des entreprises et des Etats. Ainsi, quand nous consommons de l’information sur les réseaux, nous exposons et offrons nos données suivant l’adage (simpliste) selon lequel « si c’est gratuit, c’est que nous sommes les produits ».
- Un nouvel ordre éditorial : chacun cherche à trouver sa place alors qu’il peut jouer des rôles multiples. Le lecteur devient auteur quand il contribue à un blog ou échange avec un auteur. Les réseaux socio-numériques ont accéléré la vague des contenus générés par les utilisateurs – nommés UGC pour user generated content ou UCC pour user created content -. L’auteur devient éditeur en s’auto-publiant sur son blog. Éditeurs et lecteurs-auteurs coopèrent : les médias en ligne invitent les lecteurs à commenter les informations, voire même à les créer, dans le journalisme participatif, ou dans l’encyclopédie participative Wikipedia.
- De nouveaux risques : les dimensions communautaire et participative des réseaux leur donnent une puissance inédite qui dépasse les phénomènes de manipulation par les industries culturelles. Elles en font aussi des instruments potentiels de contrôle social et des lieux possibles de délinquance à travers des atteintes aux personnes et aux biens. Les risques sont également sociaux, avec le développement, via les plateformes collaboratives, de nouvelles formes de travail qui échappent à la législation sociale (ce que l’on nomme l’ “uberisation” de la société, ainsi que le « digital labor » (Casilli), le travail caché d’internautes qui sont non ou très faiblement rémunérés et qui nourrissent les bases de données nécessaires au fonctionnement des algorithmes).
Il faut enfin faire attention à l’idée communément répandue que la société de l’information et l’avènement du web appelleraient un bouleversement complet du droit et fonctionneraient sur un vide juridique. L’évolution du support n’entraîne pas changement du droit. Nos droits restent affirmés, mais leur protection devient plus complexe pour plusieurs raisons : la globalisation sur laquelle fonctionne le web, sauf dans les pays totalitaires qui tentent de le contrôler sans jamais y parvenir complètement, la complexification et la diversification des relations sociales virtuelles, la technicisation de ces relations et donc de la criminalité. La globalisation se traduit par l’effacement des frontières et la disparition des régulations nationales. Se posent ainsi des problèmes d’effectivité du droit, de qualification juridique de nouveaux objets, d’identification des acteurs qui doivent endosser les responsabilités juridiques, de renforcement des moyens de contrôle des Etats sur les individus avec des tentations répressives régulières dans les ajustements entre le besoin de sécurité et celui de liberté. Parallèlement, certains auteurs voient apparaître une nouvelle « lex numerica » qui reposerait sur la philosophie du partage, de la discussion, l’auto-régulation, le développement des phénomènes des lanceurs d’alertes, le poids politique des partis “pirates”, et de mouvements militants du “libre” (logiciels libres, Creative Commons…). Dans ce « nouvel ordre », la transparence, la collaboration, la participation et l’ouverture sont des fils conducteurs.
Les risques concernant la propriété intellectuelle
La reconnaissance de la propriété intellectuelle est le résultat d’un processus politique qui traduit la complexité de concilier le droit des auteurs à percevoir une juste rémunération avec celui des citoyens à accéder à la connaissance et à la culture comme biens communs : d’un côté, la propriété individuelle du créateur, de l’autre, le droit à l’information et l’accès universel au savoir. Selon l’article L.111 du Code de la propriété intellectuelle (CPI ) : L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Une œuvre est une création originale, mise en forme sur un support, portant l’empreinte de la personnalité de son auteur. Le droit protège la création de l’auteur, qui suppose à la fois l’originalité, puisque l’œuvre doit être le reflet de la personnalité de son auteur, et l’existence d’un support. Le droit d’auteur consacre deux types de droits, les droits moraux, qui ne peuvent être cédés ni disparaître avec les temps, et qui concernent la divulgation (respecter le choix de l’auteur de montrer ou pas une œuvre), la paternité (citer l’auteur), l’intégrité (ne pas déformer l’œuvre) et le droit au repentir de l’œuvre (respecter le droit de l’auteur de ne plus vouloir montrer son œuvre). Les droits patrimoniaux concernent la représentation et la reproduction et durent 70 ans après la mort de l’auteur ou 50 ans après l’interprétation d’une œuvre pour les droits voisins (interprète, éditeur…).
Les conséquences du non-respect des droits de l’auteur relèvent de la responsabilité civile (réparation du préjudice) et de la responsabilité pénale (délit de contrefaçon). En dehors des exceptions, toute utilisation d’une œuvre qui n’est pas encore tombée dans le domaine public, 70 ans après la mort de son auteur, nécessite l’envoi d’une demande d’autorisation soit à l’auteur lui-même ou à ses ayants droit, soit à une société de gestion des droits d’auteur, et l’établissement d’un contrat de cession des droits, même si cette cession est gratuite, à moins que l’auteur ait indiqué dès la diffusion de son œuvre son souhait de la voir utilisée librement, à travers une licence Creative Commons par exemple.
Il existe des exceptions normales au droit d’auteur (représentation ou reproduction privée, revue de presse, courte citation…), mais également des exceptions issues de la loi sur le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information de 2006 (personnes handicapées, exception pédagogique…). L’exception pédagogique donne la possibilité d’utiliser les œuvres dans le cadre pédagogique à des conditions strictes. Le problème se pose donc avec acuité aux enseignants et aux médiateurs de savoir dans quelle mesure ils peuvent utiliser une œuvre dans leurs enseignements ou dans leurs supports. Des accords sectoriels donnent des réponses précises à ces questions. Il est donc nécessaire de les consulter. D’autres exceptions sont liées à la loi pour une République numérique de 2016 (panorama, open access, data mining).
Le droit d’auteur est critiqué parce qu’il consacre une appropriation privée des créations intellectuelles et du savoir. La licence « Creative Commons » permet à l’auteur d’une œuvre d’indiquer au public l’ampleur des droits qu’il lui accorde, sans qu’il ait besoin de solliciter une cession de droits.
Préconisations
Une attention particulière doit être portée à ces questions de propriété intellectuelle dans le contexte de l’internet, quand des élèves utilisent les réseaux sociaux, un blog ou un site, par exemple, pour extraire des ressources. S’ils sont créateurs d’un travail, il est nécessaire de leur faire signer une autorisation de diffusion des œuvres, à eux-mêmes s’ils sont majeurs ou à leurs parents. Lorsqu’un travail est réalisé avec un artiste, le contrat avec cet artiste doit également prévoir une clause concernant la diffusion et l’exploitation de l’œuvre. Les projets qui mettent les élèves dans la situation de produire des oeuvres sont les meilleurs moyens de les faire réfléchir sur le statut de l’auteur et sur le choix de laisser des oeuvres libres de droit ou au contraire d’en restreindre l’usage.
Dans le cadre pédagogique ou de médiation culturelle, le meilleur moyen de s’assurer d’un usage autorisé des œuvres est de les choisir sous licence Creative Commons (CC), via le site Creative Commons qui contient un moteur de recherche, sur une plateforme de mutualisation de contenus comme Wikimedia, sur une plateforme d’archives ouvertes pour l’information scientifique et technique comme HAL ou Open Edition, ou dans les ressources dites « libres de droits » via les moteurs de recherche dans la recherche avancée. De la même façon, il peut être judicieux d’appliquer une licence Creative Commons aux œuvres réalisées par les élèves.
Les risques concernant les données personnelles
Les données personnelles désignent à la fois les informations déclaratives (quand on s’inscrit dans un service, sur une plateforme) et les données recueillies à l’insu des personnes concernées (données de navigation recueillies via les cookies qui enregistrent les informations, notamment). Elles peuvent donner des informations sur la personnalité, la vie privée, la santé, les goûts, etc. La protection des données personnelles représente un enjeu majeur, comme l’a révélé l’affaire Snowden pour la NSA (National Security Agency), et un enjeu controversé, comme le montrent les débats sur les lois qui étendent le risque de surveillance généralisée en France, ou qui l’installent, comme en Chine. Leur manipulation via les algorithmes a des conséquences sur les pratiques de consommation, mais aussi sur les orientations des votes, par exemple, comme on l’a vu dans l’affaire Cambridge Analytica, ou encore sur les décisions politiques, comme on le voit dans l’affaire Monsanto, société qui a recueilli illégalement des données personnelles sur les relais d’opinion susceptibles d’avoir une influence.
À un niveau plus modeste, l’usage des réseaux sociaux par les enfants, les adolescents, mais aussi les adultes pose le problème de la maîtrise de leurs données personnelles et des risques liés aux traces numériques. La signature des « conditions générales d’utilisation » sur les grandes plateformes de réseaux socio-numériques vaut un engagement contractuel que très peu d’usagers prennent la peine de connaître mais qui pourtant a des conséquences sur la maîtrise des traces personnelles. La trace numérique personnelle est un enregistrement de toutes les actions d’un individu sous forme de données informatisées, qui peut être consulté, trié, classé et diffusé, selon Jacques Perriault (2009). À travers les traces, l’individu « cible » est devenu « ressource, agent de pertinence et opérateur de liens entre les informations » (Louise Merzeau, 2013). L’identité numérique représente cependant un enjeu technique, économique, juridique et social avec l’évolution des procédures de traçabilité. La notion incite à une redéfinition de la valeur des informations et surtout du droit avec une évolution de la question de la protection vers celle de la réappropriation.
Les traces ne sont pas seulement une représentation de soi, elles échappent à l’individu « en dessous du sens » (Merzeau), car on ne peut pas ne pas laisser de trace. Ainsi, Fanny Georges identifie trois niveaux d’identité : déclarative (photos etc), agissante (selon les activités : rejoindre un groupe), calculée (selon les scores : amis, like…), auxquels on peut ajouter l’identité véhiculée par les autres, dans un processus d’externalisation. L’enjeu est donc de trouver un équilibre entre libertés (d’expression, d’information, d’opinion) via le web notamment, garantie de la protection des données à caractère personnel et de la vie privée, et sécurité informatique, entre la socialisation numérique dans les réseaux et le risque de contrôle de tous par tous, entre le risque de surveillance généralisée et le souci de sécurité, entre la protection des droits fondamentaux dans la tradition européenne et la valorisation croissante de l’information dans une perspective d’innovation.
La position juridique française valorise la sécurité. La loi française organise cependant la protection des données personnelles depuis longtemps avec la loi du 6 janvier 1978 dite « Informatique et liberté » qui a créé la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés). Cette loi a été maintes fois modifiée, notamment avec la loi pour une République numérique en 2016 et la mise en œuvre du règlement européen sur la protection des données personnelles (RGPD) en 2018. La loi du 6 janvier 1978 protège les personnes des dangers liés aux fichiers et aux traitements informatiques contenant des données à caractère personnel. Elle reconnaît aux citoyens des droits spécifiques pour préserver leur vie privée : le droit à l’information, d’opposition, d’accès, de rectification. La loi pour une république numérique protège le droit à l’auto-détermination informationnelle, le droit à l’oubli pour les mineurs, la possibilité d’organiser le sort de ses données personnelles après sa mort, l’obligation d’information sur la durée de conservation des données. Le RGPD, entré en vigueur en 2018, renforce encore la sécurité juridiques des données en posant de nouveaux principes, notamment en faveur des enfants. Le sondages d’opinion montrent pourtant que les Français restent très méfiants sur l’efficacité des mécanismes de protection des données personnelles.
Préconisations
Le RGPD, impose de documenter la conformité du traitement des données (la CNIL conserve un droit de contrôle sur le respect de cette procédure et sur l’application de la loi). Tout traitement de données concernant les élèves (résultats scolaires, professions des parents, revenus du foyer, pays de naissance, vaccinations, allergies si elles sont conséquentes en milieu scolaire…), parents ou personnels, doit être inscrit sur un registre interne à l’école ou à l’établissement, et maintenu à jour. Les établissements doivent être capables de prouver que leurs traitements de données à caractère personnel sont conformes au droit et sécurisés. Le Ministère de l’éducation nationale a fourni aux établissements des guides pour leur permettre de décrire et rendre compte de la conformité de leurs bases de données au RGPD. Les démarches déclaratives auprès de la CNIL restent obligatoires pour le traitement de données dites sensibles, comme les données biométriques (pour le passage à la cantine) et les vidéos des caméras de vidéo-surveillance. Sur ces questions, la CNIL reste très vigilante et interdit toute utilisation de techniques de surveillance et de stockage des données personnelles qui ne seraient pas strictement nécessaires. Sont également considérés comme sensibles l’appartenance syndicale d’un enseignant ou d’un parent à une association (quand elle n’est pas publique), le régime alimentaire s’il révèle une religion, la nature d’un handicap, d’une déficience ou d’une affection, un justificatif d’absence à caractère religieux. Enfin, la loi du 14 mai 2018 fixe l’âge de la majorité numérique à 15 ans : un mineur à partir de 15 ans peut consentir seul à un traitement de données à caractère personnel, retirer son accord et demander l’effacement de ses données, sauf pour un traitement d’intérêt public (éducation, santé…).
Sur le plan pédagogique, des points nécessitent le déploiement de stratégies qui permettent à chacun.e de s’approprier ses propres données :
- l’anonymat, l’utilisation de pseudonymes, la multiplication des adresses mails..;
- la veille de présence (l’attention à son identité numérique) ;
- la gestion de sa visibilité en utilisant la diversité des plateformes et des registres et en gardant la question de la relation sociale au coeur de ses préoccupations ;
- l’apprentissage des pratiques de chiffrement des données.
Les risques concernant le droit à l'image
L’évolution des usages du web et des techniques numériques pose des problèmes nouveaux dans la résolution des questions juridiques posées par les utilisations de l’image, qui peut se définir comme la représentation visuelle d’une personne, en dehors de celle de la propriété intellectuelle. Ceci est lié notamment à la place prise par l’image médiatique (à travers les pratiques de paparazzi par exemple), et à l’apparition d’objets nouveaux qui mettent scène l’identité des personnes : selfies, avatars, memes, montages, vidéos, messages… Les images circulent sur des canaux divers : web et deep web, outils de géolocalisation, vidéo-surveillance, réseaux socio-numériques. La place de l’image est devenue centrale, comme moyen d’exposition de soi sur les réseaux sociaux, comme moyen de surveillance potentiel ou réel, et comme entrée privilégiée dans l’information. Cela peut poser des problèmes, notamment dans le cadre scolaire, parce que les personnes concernées sont mineures, pour les élèves, et susceptibles d’une exposition contraire à l’éthique et au droit, pour les enseignants et les adultes qui travaillent avec les élèves. Au-delà du droit, c’est bien l’éthique qui est en jeu et la conception partagée du droit de chacun à voir son image respectée et maîtrisée.
Le numérique a profondément changé les enjeux, mais pas les principes, du droit à l’image, en facilitant la captation et la circulation des images des personnes et des biens, et en créant ainsi des traces qui peuvent rester longtemps accessibles sans que les personnes en aient la maîtrise. Ainsi, la législation sur la presse n’est plus suffisante pour assurer une protection acceptable du droit de chacun au respect de son image. Entre l’enfance et l’âge adulte, la conscience de sa propre image évolue, avec le souci de se montrer, de se cacher ou de s’exposer. Les pratiques d’exposition de soi mais aussi de ses propres enfants n’épargnent pas les adultes, et les actions en justice d’enfants contre leurs parents commencent à se multiplier.
Le droit à l’image est lié à la protection de la dignité, à celle de la vie privée, comme droits fondamentaux ; l’interdiction de l’injure et de la diffamation dans la loi sur la presse de 1881 repose sur ce principe. Ainsi, la maîtrise de sa propre image par chacun peut être considérée comme un droit humain fondamental, à l’heure où les menaces légales et illégales sur la maîtrise des données personnelles sont nombreuses, et où deux tendances contradictoires s’affirment : la globalisation (de l’information, de la copie, des pratiques de partage) d’un côté, l’individualisation de l’autre (des pratiques notamment). On désigne par droit à l’image le droit que possède chacun sur la reproduction de sa propre image, le droit de refuser l’exploitation de l’image de sa personne, mais aussi de ses biens, et même de ses animaux. Le droit à l’image doit se combiner avec la liberté de la presse (loi de 1881) pour les sujets d’actualité (les images d’actualité ne pouvant porter atteinte à la vie privée ni à la dignité et devant utiliser des moyens licites de prise de vue) et à la liberté d’expression.
Préconisations
Dans le cadre du droit à l’image, une autorisation est indispensable, pour la reproduction de l’image des personnes si elles sont reconnaissables et détachées du contexte du droit à l’information. Dans le cadre scolaire, il existe de nombreux modèles de demandes d’autorisation. L’utilisation ou la diffusion de l’image d’une personne sans son consentement est interdite si elle est reconnaissable. La conséquence est qu’il est nécessaire de faire un flouté du visage de la (ou des) personne(s) si on veut malgré tout utiliser une image d’une personne sans son consentement. C’est le cas lorsqu’on réalise une photographie avec des élèves à l’occasion d’un projet et que les parents de certains d’entre eux n’ont pas donné leur autorisation d’utilisation de l’image de leur enfant.
Il est important que les jeunes soient conscients de la nécessité de respecter l’image des autres et de faire respecter leur propre image. Les projets qui mettent en scène l’image de soi et des autres, à partir d’avatars, par exemple, sont l’occasion de réfléchir à ces questions.
Les risques concernant la violence en ligne : cyberharcèlement et cybercriminalité
Le thème de la cybercriminalité revient régulièrement dans les médias à propos des réseaux sociaux, à l’occasion d’un fait divers dramatique comme le suicide d’un adolescent harcelé pour ou par des images diffusées, ou de discussions autour de projets de réglementation. Pour repérer des pratiques délinquantes, la police se sert de crawlers (robots), des outils destinés à sonder les sites Internet, pour traquer les délinquants ou dans le cadre d’enquêtes sur des disparitions de mineurs, d’incitation à la haine raciale, de diffamation, d’insulte, comme dans la lutte contre la pédophilie et la pédopornographie. L’usurpation d’identité numérique est une pratique assez répandue, comme les conduites risquées qui consistent à divulguer des données à caractère sensible.
Les pratiques de harcèlement sont visées par l’Observatoire international de la violence à l’école dirigé par Eric Debarbieux. Dans le rapport de 2010, il indique que « Au moyen du « cyberharcèlement », le harceleur et surtout les groupes de harceleurs peuvent poursuivre leurs victimes hors des murs de l’École. La technologie décuple la portée que peut avoir l’agresseur en lui permettant d’intimider partout et en tout temps. “ D’après plusieurs enquêtes américaines du Cyberbullying Research Center, le nombre de jeunes ayant été victimes de cette forme particulière de violence est important. Environ 20% d’un échantillon d’élèves de 11 à 18 ans interrogés en 2010 répondaient avoir été à un moment ou un autre victimes de ce type de comportement. La même proportion indiquait avoir été agresseur et finalement un sur dix avoir été victime et agresseur. Les comportements en question peuvent prendre plusieurs formes : messages violents, harcèlement, surveillance, dénigrement (rumeurs, slut shaming), imitation (usurpation d’identité), happy slapping (lynchage vidéo), outing (divulgation d’informations), exclusion.
Pour Catherine Blaya, le cyberharcèlement se distingue du harcèlement car l’’anonymat donne de la puissance à l’agresseur, la distance diminue les possibilités d’empathie de l’agresseur, l’éloignement brouille la communication et les signaux, les possibilités de dissémination sont démultipliées et les messages dépassent très vite le niveau du duel, les adolescents sont particulièrement sensibles à leur image dans le groupe.
Selon le Code pénal (loi du 4 août 2014 modifiée par la loi du 3/08/2018), « le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ont entraîné aucune incapacité de travail. L’infraction est également constituée :
- Lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée ;
- Lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition. Les faits mentionnés aux premier à quatrième alinéas sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende :
1) Lorsqu’ils ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours ;
2) Lorsqu’ils ont été commis sur un mineur de quinze ans ;
3) Lorsqu’ils ont été commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur ;
4) Lorsqu’ils ont été commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique ;
5) Lorsqu’un mineur était présent et y a assisté.
Les faits mentionnés aux premier à quatrième alinéas sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende lorsqu’ils sont commis dans deux des circonstances mentionnées aux 1) à 5). »
Les premiers responsables en cas de harcèlement en ligne sont les auteurs des propos en cause. La responsabilité des intermédiaires dépend de règles spécifiques : les hébergeurs qui stockent des contenus rédigés et réalisés par des tiers (hébergeurs d’un réseau social, d’un forum, d’un jeu en ligne, d’un blog), les fournisseurs d’accès. Un intermédiaire ne sera responsable que s’il a eu connaissance des messages publiés et s’il n’a pas agi rapidement pour faire retirer ces messages dès qu’il en a eu connaissance.
Préconisations
La lutte contre les pratiques de harcèlement ne peut relever que d’une action éducative. Eric Debarbieux, à propos du harcèlement sur les réseaux sociaux, montre qu’il est important de ne pas créer des doubles victimes en ignorant ce qui se passe. La reconnaissance et la prise en charge disciplinaire et pénale des problèmes sont donc indispensables. Le verrouillage de l’accès à internet et aux réseaux sociaux par le filtrage est une solution souvent choisie dans les établissements. Il permet d’éluder la question de la responsabilité. Mais cette solution pose un grave problème parce qu’elle équivaut à laisser les élèves seuls face à leurs usages dans des familles qui n’ont pas toujours les moyens de les aider ou de les accompagner. L’éducation reste la piste la plus intéressante. Il est donc important de mener un vrai travail d’éducation à la culture de l’information, avec des projets qui font participer et construire les élèves, qui permettent d’aborder la thématique de la sécurité sans en faire le centre de toutes les activités. Les enseignants peuvent sensibiliser les élèves aux enjeux juridiques et éthiques des réseaux en les faisant se questionner sur les possibilités de consulter les profils, l’image qu’ils renvoient, à travers des projets de lecture et d’écriture. Il est possible pour les enseignants de créer des comptes et des profils, sans devenir « amis » avec leurs élèves, mais en comprenant leurs démarches pour mettre en place une réflexion commune et les moyens d’un usage autonome des réseaux socio-numériques par les élèves, à l’intérieur d’un cadre juridique complexe.
Bibliographie
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Ressources éducatives associées
Comprendre le droit d’auteur, trouver des ressources libres de droit
Connais moi, échappe toi : un jeu d’évasion autour des données personnelles
Que risque un Youtuber qui plagie des vidéos ?
Kit du citoyen numérique – Hadopi
Eduscol MEN, Légamedia, 2016-2017, URL : https://eduscol.education.fr/internet-responsable/ressources/legamedia.html
Savoir CDI, Le coin des juristes, 2008-2017, URL : https://www.reseau-canope.fr/savoirscdi/societe-de-linformation/cadre-reglementaire/le-coin-du-juriste.html
Chercher : http://search.creativecommons.org/
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