Enjeux informationnels

Quelle culture informationnelle pour construire et préserver une société démocratique ?

Anne Lehmans

70,75%des enseignants qui entrent dans le métier estiment que le numérique expose les élèves à des risques informationnels (eRISK, 2017)

Les pratiques numériques des jeunes ont profondément modifié la façon dont ils s’informent sur le monde qui les entoure, leur perception des réalités sociales, économiques, politiques, et leurs représentations de leurs capacités à agir sur ce monde. Leurs usages précoces d’outils numériques à vocation ludique et communicationnelle les incitent à entrer dans l’information à travers les réseaux socio-numériques plutôt qu’à travers les médias traditionnels, même s’ils continuent d’écouter la radio et de regarder la télévision. Ils sont informés instantanément des événements survenus dans le monde, aussi vite que des faits et gestes de leurs amis. Ils sont susceptibles de trouver des réponses à leurs requêtes grâce à un moteur de recherche sur des sites publicitaires, extrémistes ou sectaires aussi bien que scientifiques, la force des algorithmes et la vitesse de circulation de l’information en réseaux les poussant d’ailleurs plutôt du côté des premiers. Or, il est difficile d’évaluer la fiabilité de l’information dans ce contexte, précisément parce qu’elle n’est pas toujours filtrée par des journalistes professionnels, des chercheurs, des experts, ou des acteurs institutionnels, et parce que les jeunes ne disposent pas encore de toutes les connaissances nécessaires pour comprendre les enjeux et décrypter l’information qui leur parvient sans filtres. Ainsi, la fracture numérique concerne beaucoup moins l’accès à l’information, que, face à la diversité des sources, la capacité à mobiliser les ressources cognitives, sociales et culturelles nécessaires pour s’appuyer sur une information fiable et utile, construire des connaissances qui les préparent à prendre des décisions dans leur vie sociale et politique. Or l’information est à la base de la communication qui va participer à la construction de la culture politique des jeunes, ou au contraire empêcher ou fragiliser cette construction. Cette question est d’une importance capitale pour l’avenir de la démocratie et pour la formation des citoyens de demain.

De nombreux problèmes sont en jeu dans cette question des usages de l’information pour comprendre le monde et agir en tant que citoyen éclairé et autonome. Les évolutions du rapport à l’information, cristallisées dans des moments dramatiques comme l’attentat contre Charlie Hebdo en 2015, ou d’actualité comme le récit médiatique des « gilets jaunes » ou le traitement des questions environnementales, posent un problème majeur aux familles et à l’institution scolaire. Celle-ci doit aujourd’hui s’assurer que tous les élèves sortent de l’école avec la capacité à mobiliser leur esprit critique face aux flots d’informations qui les submergent. Et cet esprit critique doit s’accomoder d’un sentiment complexe, celui de l’incertitude. Le doute lié à l’incertitude risque de mettre en cause l’autorité des parents, des enseignants, des institutions. Il risque d’alimenter une attitude de défiance propre à l’adolescence et d’empêcher la mise en place de repères et de critères de la confiance, indispensables à toute relation d’éducation, toute communication et à tout engagement dans la vie publique.

Comment accompagner les jeunes pour qu’ils puissent faire face aux manipulations de l’information, au sentiment d’incertitude qui peut les submerger et à leur désir d’engagement ?