La vue : le computer vision syndrome
Les problèmes liés à la vue causés par le travail ou le loisir sur écran sont les plus fréquemment évoqués par les utilisateurs d’écrans (Clayton et al., 2005). Cela n’a rien d’étonnant : s’ils sont souvent mineurs, des symptômes gênants apparaissent rapidement lors d’une activité prolongée sur écran : « fatigue oculaire, yeux fatigués, irritation, sensation de brûlure, rougeur, vision brouillée et vision double », notamment (ibid.). Les études anglo-saxonnes sur le sujet parlent plus généralement de Computer Vision Syndrome (CVS). Ces symptômes peuvent s’aggraver en une fatigue plus générale, des douleurs au niveau des yeux et à la tête, et constituer un facteur aggravant la myopie (ibid.). Une des solutions les plus simples est de faire régulièrement des pauses (même de courtes durées) et de limiter le temps de consultation des écrans. Il est également possible d’adapter la taille de la police pour une lecture plus confortable sur écran (fonction présente dans tous les navigateurs web). Pratiquer des exercices stimulant les yeux (orthoptie, musculation…) peut également être bénéfique.
A plus long terme, la lumière bleue émise par les écrans constituerait un facteur de risque d’apparition ou de renforcement de maladies du cristallin ou de la rétine comme la DMLA (Dégénérescence Maculaire Liée à l’Âge). Si ces maladies apparaissent tardivement la plupart du temps et ne concernent pas les enfants et adolescents, l’usage d’un filtre de la lumière bleue peut être utile et participer à prévenir, au plus tôt, des problèmes de vision futurs. Ce filtre offre également un peu de repos pour les yeux (notamment pour la lecture) sans altérer une utilisation normale puisque l’intensité des filtres est réglable.
Le sommeil : des risques à long terme si l’on est sur écran le soir
20 % à 40 %des enfants ont des problèmes de sommeil (ANSES, 2017)
20 % à 40 % des enfants ont des problèmes de sommeil (ANSES, 2017 : 31) et une réduction du temps de sommeil a été observée au cours des 30 dernières années chez les adolescents (Royant-Parola et al., 2018). Les jeunes se déclarent par ailleurs plus souvent « du soir » que les adultes, se couchant ainsi plus tard et risquant alors de manquer de sommeil (Claustrat, 2014). Le manque ou la mauvaise qualité de sommeil peuvent causer des troubles d’apprentissage, du comportement et de l’attention (concentration), des problèmes cardiovasculaires (ANSES, 2017 : 31), de l’anxiété et de l’agressivité (Harlé et Desmurget, 2012). Plus le manque de sommeil est important et répété, plus les conséquences peuvent être graves (Claustrat, 2014). Toutefois, en ce qui concerne l’impact sur la scolarité, les recherches en cours présentent des difficultés à déterminer 1) si le manque de sommeil est la cause des troubles d’apprentissage et du comportement et 2) si ce ne sont pas ces troubles qui conduisent à un manque de sommeil (ibid.), étant anxiogènes et peu favorables à une nuit reposante. L’ANSES précise ainsi qu’« aucune étude n’a évalué jusqu’à présent de manière longitudinale, l’interaction possible entre problèmes du sommeil et exposition aux radiofréquences (sources proches et lointaines). D’autre part, l’enfance et la prime adolescence sont des périodes sensibles pour étudier cette association. ». Des projets de recherche sont en cours sur le sujet, dont une partie est recensée dans un rapport de mai 2017 produit par l’ANSES.
C’est particulièrement la lumière bleue émise par les écrans qui a un impact important et démontré sur le sommeil (en retardant la production de mélatonine favorisant l’endormissement et régulatrice des rythmes de veille et de sommeil -Claustrat, 2014), lorsqu’elle est perçue le soir : « l’exposition aux écrans le soir est corrélée à la sévérité de l’insomnie et de l’hyperactivité. En revanche, les écrans le matin n’ont d’incidence ni sur le sommeil ni sur les troubles du comportement des enfants. La présence d’un écran dans la chambre de l’enfant est corrélée aux troubles du sommeil et à l’inattention et l’impulsivité comportementale. » (Chaussoy et al., 2019). La lumière est en effet le « synchroniseur le plus puissant pour les rythmes circadiens, y compris chez l’homme » (Claustrat, 2014) ; si elle est trop présente le soir, le cycle « veille-sommeil » sera décalé vers le matin (ibid.). L’effet d’un filtre de la lumière bleue peut être utile pour réduire ses effets néfastes sur le sommeil, mais il conviendrait plus spécifiquement d’éviter l’usage d’écrans dans les heures qui précèdent l’endormissement, car « l’excitation intellectuelle ou ludique » (Cannard, 2014), le maintien de l’attention (Claustrat, 2014) exercés par l’activité pratiquée pourrait également perturber l’endormissement. Ce problème peut être relié à l’addiction (voir les enjeux psycho-sociaux), certains enfants ou adolescents ayant des problèmes de sommeil dû à une pratique nocturne du numérique (Petit et al., 2016).
Les troubles musculo-squelettiques
Les troubles musculo-squelettiques dus à la pratique d’outils numériques se manifestent principalement par des douleurs cervicales et/ou dorsales (y compris au niveau des épaules) ainsi qu’aux poignets, mains et doigts (pouvant aller jusqu’à une tendinite ou bursite). On observe notamment de plus en plus de syndromes du canal carpien (Cail et Aptel, 2006). Si les premières études portaient essentiellement sur l’usage d’un ordinateur au travail (ibid.), tous les outils (y compris ceux tactiles) et tous les usages (personnels, professionnels, etc.) sont concernés. Les études sur les troubles musculo-squelettiques en lien avec l’usage du smartphone chez les jeunes ne manquent pas. Le temps passé sur l’outil reste le principal facteur de risque (ibid.), les positions adoptées n’étant généralement pas naturelles et générant une fatigue musculaire, d’une part, et l’individu pouvant y passer de nombreuses heures sans faire de pause, d’autre part.
Une récente étude (INal et al., 2015) montre qu’un usage raisonné de smartphone ne provoque pas plus de troubles que l’absence d’usage. En revanche, ceux qui utilisent souvent leur smartphone souffrent plus souvent de douleurs au niveau du canal carpien et plus généralement des doigts et du poignet utilisés pour manipuler leur smartphone. Les auteurs précisent qu’il n’est pas possible à ce stade de montrer des conséquences à long terme. Le fait que certains mouvements soient répétés (par exemple le fait de glisser le doigt sur un réseau social pour voir le « fil » d’actualités ou encore les mouvements de doigts lors de l’écriture de messages) est notamment en cause ; cela pourrait causer des tendinites par exemple. La tête inclinée vers le bas peut également poser problème, au niveau des cervicales : cette posture réduit l’amplitude de mouvement du cou et du crâne et induirait des problèmes musculaires dans ces zones (Kee et al., 2016 ; Kim et al., 2012). Les différents auteurs font, là aussi, un lien avec la dépendance, qui induit non seulement une fréquence d’utilisation plus élevée mais aussi une durée d’utilisation plus longue.
Plusieurs solutions peuvent être apportées pour améliorer le quotidien : faire des pauses toutes les 20 à 30 minutes d’utilisation d’un ordinateur (plus fréquemment pour un smartphone ou une tablette), pause pouvant être courte (de l’ordre d’une minute) mais nécessitant de marcher et assouplir ses membres supérieurs (épaules, cervicales) et les mains et doigts ; régulièrement vérifier sa posture de façon à être le plus confortable possible ; muscler son cou et pratiquer régulièrement des exercices de posturologie recommandés si besoin par un kinésithérapeute si nécessaire (en cas de douleurs fréquentes). Bien entendu, plus l’utilisation d’outils numériques est fréquent et de longue durée, plus ces recommandations seront importantes.
Sans tomber ni dans la technophobie, ni dans la technophilie, il convient d’accompagner les enfants et adolescents dans un usage raisonné des écrans : faire des pauses régulières (et se lever), éviter l’utilisation d’écrans le soir avant d’aller se coucher, être conscient des risques, mineurs ou majeurs, encourus, utiliser si possible un filtre de la lumière bleue sur les appareils les plus fréquemment utilisés, etc. Certains gestes simples peuvent grandement améliorer le quotidien sur les écrans, sans les fuir pour autant. Il s’agit surtout de faire prendre conscience aux enfants de leurs usages numériques (et notamment de leur posture physique face aux écrans, du temps passé, du besoin de « faire autre chose » lorsque la fatigue arrive…) et d’informer sur des pratiques, simples à mettre en place et efficaces, pour continuer à bénéficier d’un espace de socialisation, ludique, mais aussi d’apprentissage. Il s’agit aussi de faire comprendre à l’enfant ou à l’adolescent que l’éloignement des écrans est plus propice à certains moments, particulièrement le soir et la nuit, le sommeil étant essentiel, à tout âge et plus encore chez les plus jeunes.
ANSES, (2017), « Radiofréquences et santé : comprendre où en est la recherche », Les cahiers de la recherche : Santé, Environnement, Travail, 9, mai 2017.
Cail, F., Aptel, M. (2006). « Facteurs de risque pour le membre supérieur dans le travail sur écran : synthèse bibliographique », Le travail humain, 69(3), 229-268.
Cannard, C. (2014). « Le rythme jour-nuit, le sommeil et les écrans à l’adolescence », repéré à https://docplayer.fr/35059089-Le-rythme-jour-nuit-le-sommeil-et-les-ecrans-a-l-adolescence.html , consulté le 28/02/2019.
Chaussoy, L, Cavalli, E., Lecuelle, F, Zourou, F., Herbillon, V., Franco, P., Putois, B., (2019), « Les écrans influencent le comportement des enfants par le biais d’une perturbation du sommeil », Médecine du sommeil, 16(1), 62.
Claustrat, B., (2014), « L’évolution du rythme veille-sommeil au cours de l’histoire de l’humanité. Influence de la lumière artificielle », Médecine du sommeil, 11(2), 68-73.
Clayton, B., Seema, V., Ashbala, K., Shrabanee, M., Richard, W. Y., (2005), « Computer Vision Syndrome: A Review », Family & Community Medicine, 50(3), 253-262.
Harlé, B., Desmurget, M., (2012), « Effets de l’exposition chronique aux écrans sur le développement cognitif de l’enfant », Archives de Pédiatrie, 19(7), 772-776.
İNal, EE, Demİrcİ, kadİr, Çetİntürk, A., M. Akgönül, M. et Savaş, S. (2015). « Effects of smartphone overuse on hand function, pinch strength, and the median nerve ». Muscle & Nerve, 52(2), 183–188.
Kee, I.-K., Byun, J.-S., Jung, J.-K., Choi, J.-K., (2016), « The presence of altered craniocervical posture and mobility in smartphone-addicted teenagers with temporomandibular disorders », Journal of Physical Therapy Science, 28(2), 339-346.
Kim, G. Y., Chang, S. A., Hye, W. J., Chang, R. L., (2012), « Effects of the Use of Smartphones on Pain and Muscle Fatigue in the Upper Extremity », Journal of Physical Therapy Science, 24(12), 1255-1258.
Petit, A., Karila, L., Estellat, C., Moisan, D., Reynaud, M., D’Ortho, M.-P., Lejoyeux, M., Levy, F., (2016), « Les troubles du sommeil dans l’addiction à Internet », La presse médicale, 45(12-1), 1170-1177.
Rosenfield, Mark, (2016), « Computer vision syndrome (a.k.a. digital eye strain) », Optometry in Practice, 17(1), 1-10.
Royant-Parola, S., Londe, V., Tréhout, S., Hartley, S., (2018), « Nouveaux médias sociaux, nouveaux comportements de sommeil chez les adolescents », L’encéphale, 44(4), 321-328.