46%de la population de 12 ans et plus se connecte à Internet principalement via le smartphone (CREDOC, 2018)
Les différentes enquêtes quantitatives montrent l’ampleur de l’accès au numérique au sein de la société d’une manière générale. D’après une étude du CREDOC parue en 2012, 23 % de la population possédait un ordinateur en 1998, 53 % en 2004, et 81 % en 2012. De même pour la connexion Internet, elle était quasi inexistante en 1998 (4 %), mais représentait 36 % en 2004 et se montait à 78 % en 2012” (
CREDOC, 2012). Avec l’évolution rapide des technologies, en 2018, « l’équipement en téléphonie mobile se stabilise à 94%. […] Le smartphone reste définitivement le terminal le plus utilisé pour accéder à internet, avec 46% (+4 points par rapport à 2017) de la population de 12 ans et plus qui se connecte à Internet principalement via le smartphone, alors que le taux d’utilisateurs préférant se connecter à internet grâce à un ordinateur diminue de 3 points et s’établit à 35% » (
CREDOC, 2018). Si les chiffres indiquent une connexion à Internet quasi-totale pour l’ensemble de la population à l’heure actuelle, les inégalités d’usages persistent et sont liées à la fracture sociale. Quelques travaux de recherches se sont intéressés au lien entre fracture sociale et fracture numérique dès l’apparition d’Internet. Si inégalité sociale il y a, elle prend la forme d’une fracture sociale qui a surtout été mesurée en référence à une différence de traitement sur les territoires concernant l’usage du numérique (Grangeon, 2011). Ce n’est donc pas forcément une question d’accès. En fait la fracture numérique est le pendant de la fracture sociale. Le numérique n’accélère pas forcément les inégalités numériques mais son utilisation est le reflet de ce qui se passe dans la vie réelle. Il y a donc des difficultés pour certaines catégories d’usagers et notamment pour ceux qui sont le plus éloignés des accès à Internet, mais aussi les plus isolés socialement parlant pour acquérir de l’autonomie et gagner en reconnaissance sociale (Grangeon, 2011). D’une manière générale, les chercheurs ont montré que l’influence de l’entourage dans l’accès et l’usage du numérique avait une influence bénéfique par exemple dans la compréhension des stratégies à mettre en place pour rechercher de l’information, comprendre les rouages d’Internet, connaître les procédures de consultation de l’information spécifique à l’infrastructure logicielle du net (Grangeon, 2004). Hargittai a également expliqué que les pratiques sur Internet dépendaient aussi de la capacité cognitive des individus à se projeter sur la tâche à accomplir avec ces nouveaux outils et du savoir-faire technique de l’usager (Hargittai, 2002).
76%des jeunes scolarisés en milieu urbain sont équipés de smartphone, c'est plus que ceux scolarisés en milieu rural (Plantard, 2015)
L’anthropologue des usages numériques Pascal Plantard explique que les familles socialement défavorisées sont autant équipées que les familles socialement favorisées. Il existe cependant une divergence sur deux points. D’une part, les jeunes des familles socialement favorisées possèdent davantage de terminaux mobiles que les jeunes socialement défavorisés. D’autre part, les jeunes des familles socialement défavorisées possèdent des ordinateurs fixes plutôt dans leur chambre que dans un espace familial partagé. Sur le plan des territoires, les jeunes scolarisés en milieu urbain sont plus équipés de smartphone (76%) que ceux scolarisés en milieu rural et en aire périurbaine (Plantard, 2015). Ainsi le type d’équipement et les espaces de consultation des outils numériques peuvent influer sur les usages. Le projet de recherche INEDUC retrace les parcours des élèves de 13 à 15 ans en termes de pratiques sociales et de pratiques numériques au prisme de territoires spécifiques. La conclusion est que la fracture d’usages numériques dépend autant des territoires que des pratiques sociales et culturelles : « les inégalités éducatives liées aux usages du numérique sont importantes chez les adolescents […] elles dépendent, entre autres, du territoire dans lequel ils vivent. En termes de socialisation secondaire et de construction des capitaux sociaux et culturels, […] les parcours scolaires, de loisirs et numériques sont interdépendants » (Le Mentec et Plantard, 2014). Ainsi, l’inscription des élèves sur les réseaux sociaux concernent bien plus les familles défavorisées que les familles favorisées et le principe de la sécurité sur Internet est davantage évoqué dans ces familles que dans les premières. Le rapport à l’économie du numérique est donc un élément important dans les pratiques éducatives liées au numérique pour certaines familles plutôt favorisées. On retrouve ici le fait que l’entourage participe beaucoup à la connaissance de l’environnement numérique du jeune et à sa capacité à savoir distinguer des pratiques à risques sur Internet.
Qu’en est-il de la question de l’usage numérique chez les élèves des collèges et des lycées ? Comment peut-on favoriser l’inclusion numérique ? Est-elle purement scolaire ou doit-on l’étendre à une dimension plus personnelle du jeune en construction ou à une dimension générationnelle ? Sur le plan de l’équipement des écoles et des établissements du second degré, la généralisation d’Internet est pratiquement aboutie. Pour la rentrée 2016, 100% de lycées dans 21 régions possédaient un ENT et 100% des collèges dans 76 départements avaient également leur ENT (Ministère de l’éducation nationale, 2016).
A l’école, le rapport de l’IGEN de 2015 note qu’il y a en moyenne un ordinateur pour 17 élèves en élémentaire et un pour 55 élèves en maternelle (Ministère éducation nationale, 2015). D’une manière générale, les enseignants utilisent beaucoup les vidéoprojecteurs et les TBI pour organiser leur classe mais l’usage de l’ordinateur et des tablettes chez les élèves reste très faible, la vétusté du parc informatique, le manque de moyens et l’absence de connexion haut débit expliquant cet état de fait. Les ENT ne sont que très peu développés dans le primaire (5% environ en 2015), pourtant ils permettraient de lutter contre les inégalités sociales. En l’état actuel ils participent encore trop à l’éloignement des parents d’élèves qu’il faudrait former à ce nouvel outil. Pour ce qui concerne la formation des enseignants, là encore le rapport pointe le fait par exemple que les enseignants qui préparent beaucoup leurs cours à l’aide d’Internet n’ont reçu aucune formation sur l’utilisation des moteurs de recherche (Ministère de l’éducation nationale, 2015 : 56). Au niveau des collèges, l’équipement a fortement progressé entre 2004 et 2015. D’une manière générale, les petits collèges en zones rurales sont mieux équipés que les collèges urbains mais le nombre de poste mobile reste limité (22 postes ou tablettes pour 100 élèves). Sinon 92 % des établissements disposent d’un accès à Internet dans plus de la moitié des salles de classes (Ministère de l’éducation nationale, 2015). En ce qui concerne les lycées, les lycées professionnels sont mieux dotés que les lycées généraux et technologiques et le nombre d’ordinateur par élève est plus élevé qu’au collège (43, 9%) (DEPP, 2018). Là encore la question de l’accès au numérique selon le territoire est une question (presque) résolue. La question de la fracture numérique interroge dès lors les logiques d’usages au quotidien, que ce soit à l’école ou dans les familles.
D’une manière générale, la question des pratiques numériques est interrogée au prisme du capital social, scolaire et culturel mais assez peu par rapport aux enseignements déjà dispensés dans le domaine précis de l’éducation aux médias et à l’information. Le développement de l’esprit critique pourrait passer par l’éducation aux risques socio-économiques dans lequel s’inscrivent précisément les pratiques des élèves. On sait que la fracture numérique qui les concerne parfois directement n’est pas interrogée par les élèves eux-mêmes. Il pourrait donc être intéressant comme le proposent Jehel et Saemmer de faire en sorte que les élèves s’interrogent sur les logiques politiques et économiques des médias pour mieux cerner les idéologies et les croyances qui leur sont associées (Jehel, Saemmer, 2017). La sociologie des usages est intéressante pour comprendre le phénomène de fracture numérique concernant les pratiques mais l’exercice de l’esprit critique sur les logiques économiques du numérique et leurs conséquences sur les modalités d’usage restent déterminantes pour lutter aussi contre les risques socio-économiques du numérique. Ces risques concernent l’élève dans son rapport avec quelque chose qu’il ne maîtrise pas forcément car trop dépendant des logiques de firme, mondialisée et insondable dont il faut apprendre le fonctionnement. Les apprentissages à développer sont donc encore nombreux car les politiques du numérique éducatif tablent toujours sur la question de l’accessibilité aux ressources et aux outils plutôt que sur la connaissance de l’économie des médias quand il s’agit d’éduquer aux médias et à l’information. Dans les pistes de travail à mettre en place à l’école il s’agirait sans doute davantage, pour sensibiliser les élèves aux risques socio-économiques, d’interroger la course à l’audience, les caractéristiques de l’externalisation des processus de jugements de goût, la question de la récupération des données individuelles et leur utilisation sur la surveillance généralisée du web, ou encore les formes de financement des plateformes de contenus web.
Ben Youssef, A. (2004) « Les quatre dimensions de la fracture numérique »,
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EU-Kids Online
Granjon, F. (2004) « Les sociologies de la fracture numérique. Jalons critiques pour une revue de la littérature », Questions de communication, n° 6, URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/4390
Granjon, F., 2009, « Inégalités numériques et reconnaissance sociale. Des usages populaires de l’informatique connectée », Les Cahiers du numérique, vol. 5, no. 1, pp. 19-44.
Hargittai, E., 2002, « Second-Level Digital Divide: Differences in People’s Online Skills », First Monday, vol. 7, n° 4
Jehel, S. et Saemmer, A. (2017) « Pour une approche de l’éducation critique
aux médias par le décryptage des logiques politiques, économiques, idéologiques et éditoriales du numérique », tic&société, vol. 11, n° 1, pp. 47-83.
Le Mentec, M. et Plantard, P. (2014) « INEDUC : pratiques numériques des adolescents et territoires », Netcom, vol. 3/4, n° 28, URL : http://journals.openedition.org/netcom/1799
Long Scott, A. (1995) “Access Denied ?”, Outlook, vol. 8, n° 1.
Plantard, P. (2015) “Contre la “fracture numérique”, pas de baguette magique !”, revue Projet, vol. 2, n° 345, pp. 23-30.
Ministère de l’éducation nationale, 2015, “L’utilisation pédagogique des dotations en numérique (équipements et ressources) dans les écoles”, rapport n° 2015- 070, URL :
https://cache.media.education.gouv.fr/file/2015/44/1/2015-070_Dotation_numerique_1er_degre_494441.pdf
Ministère de l’éducation nationale, DEPP (2018) “Disparités d’équipement numérique entre les lycées : les lycées professionnels mieux dotés”, Note d’information, n° 18.20, URL : https://cache.media.education.gouv.fr/file/2018/61/5/depp-ni-2018-18-20-disparites-d-equipement-numerique-entre-les-lycees_994615.pdf